Le Kirghizstan en lutte contre ses déchets radioactifs soviétiques

13:1312/11/2024, Salı
AFP
Bakytbek Asankulov, employé du ministère kirghize des situations d'urgence chargé de la sécurité radioactive, près de la nouvelle décharge de résidus "Dalneye" dans le cadre des travaux d'élimination des déchets nucléaires radioactifs de l'ère soviétique dans la ville de Min-Kush, à quelque 300 km de Bichkek, le 18 octobre 2024.
Crédit Photo : VYACHESLAV OSELEDKO / AFP
Bakytbek Asankulov, employé du ministère kirghize des situations d'urgence chargé de la sécurité radioactive, près de la nouvelle décharge de résidus "Dalneye" dans le cadre des travaux d'élimination des déchets nucléaires radioactifs de l'ère soviétique dans la ville de Min-Kush, à quelque 300 km de Bichkek, le 18 octobre 2024.

Une gestion complexe des déchets radioactifs menace l’Asie centrale, mobilisant le Kirghizstan et ses partenaires internationaux pour éviter une catastrophe écologique.

Équipé d'un masque et d'une combinaison, Ermek Mourataliev conduit à travers les routes sinueuses des montagnes du Kirghizstan son camion scellé à la cargaison particulière : des déchets nucléaires radioactifs de l'époque soviétique menaçant toute l'Asie centrale.


La manœuvre est périlleuse, deux véhicules se sont renversés cet été dans des ravins. Et le chauffeur a interdiction de s'arrêter jusqu'à sa destination finale, une zone de stockage où ces résidus nucléaires seront enfouis sous d'épaisses couches successives de glaise compactée et de pierres.


Trois décennies après son indépendance, le Kirghizstan pâtit toujours des conséquences de la course à la bombe nucléaire au cœur de la Guerre froide, quand l'Asie centrale approvisionnait toute l'URSS en uranium.

Selon les autorités kirghizes, le pays a hérité de plus de six millions de mètres cubes de déchets radioactifs stockés dans une trentaine de décharges fragilisées et proches de rompre comme à Min-Kush (centre), nécessitant des travaux de réhabilitation complexes et coûteux.


"A la chute de l'URSS, le Kirghizstan n'avait ni l'équipement ni l'argent pour transférer les déchets vers des lieux sûrs, le processus a longtemps été retardé"
, résume pour l'AFP Ilguiz Ernis, adjoint au maire de la commune.

Ces projets de réhabilitation
"sous le contrôle personnel du président"
Sadyr Japarov entrent dans leur phase finale et sont mis en œuvre par le géant russe du nucléaire Rosatom ainsi que l'Union européenne et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement.

"Lac radioactif"


Des locaux sont embauchés pour participer aux travaux, comme le mari d'Aïman Kichkenalina, qui estime que
"ce problème n'est pas seulement celui de Min-Kush, mais de tout le Kirghizstan".

Cette quadragénaire est l'une des quelque 5.600 habitants vivotant dans cette ex-ville secrète au destin semblable à d'autres centres d'extraction d'uranium en Asie centrale, tombés en décrépitude, transformés en catastrophes humaines et environnementales à retardement.

"Des experts ont constaté que la dose (de radioactivité) était trop élevée par endroits"
, poursuit-elle. Elle dépasse jusqu'à six fois la norme selon les autorités.

Pire, la radioactivité se répand dans la rivière traversant Min-Kush, affluent du Syr-Daria, deuxième plus grand fleuve de la région, menaçant les quelque 80 millions de Centrasiatiques.

"Nous déplaçons la décharge car la digue se rompt. La composition de l'eau qui s'écoule sous la décharge dépasse les normes admissibles"
, explique Bakytbek Asankoulov, responsable de la sécurité radioactive au ministère des Situations d'urgence.

"Il y a un risque de glissement de terrain", poursuit M. Asankoulov, le pays étant en zone sismique et sujet aux catastrophes naturelles à répétition, exacerbées par le changement climatique.


D'après le spécialiste,
"cela pourrait bloquer le lit de la rivière et former un lac radioactif"
.

"S'il explose, ses eaux atteindront la vallée de Ferghana"
, zone la plus densément peuplée d'Asie centrale à cheval entre le Kirghizstan, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan.

"Cheveux tombent"


Mais les avertissements des autorités de ne pas boire l'eau radioactive de cette rivière semblent avoir peu d'écho auprès de certains habitants.


"Nous mangeons le bétail et buvons le lait des vaches"
qui boivent elles-mêmes l'eau interdite, lâche désabusée Perizat Berdalieva, ex-comptable à l'usine d'uranium.

D'autant que les risques des radiations sur la santé ont été cachés par l'URSS dans ces villes stratégiques comme Min-Kush où contrairement au reste de l'empire communiste
"tout était disponible, sans déficit de nourriture",
se souvient la retraitée.

Des recherches scientifiques, bien que rares, soulignent la prévalence anormalement élevée de maladies, une modification de la formule sanguine pouvant mener à des cancers, ou une plus faible immunité parmi la population vivant près des zones de stockage de déchets nucléaires.

"Les cheveux de mes deux filles tombent, elles sont souvent malades, mon mari saigne du nez"
, assure Nazgoul Zarylbek, 25 ans.

Sa maison irradiée a récemment été rasée par les autorités contre un dédommagement d'environ 5.000 euros pour déménager dans une zone plus sûre, ou plutôt moins dangereuse, à Min-Kush.


Dans cette vallée à plus de 2.000 mètres d'altitude aux paysages bucoliques -- si l'écran interactif sur la mairie mesurant la radioactivité ne rappelait pas le danger invisible -- on espère enfin tourner la page de ce passé empoisonné.

Malgré la peinture écaillée sur la majorité des bâtiments, le responsable municipal Ilguiz Ernis veut y croire:
"Le transfert des déchets d'uranium vers un lieu sûr permettra de supprimer Min-Kush de la liste rouge des endroits touristiques."

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